La dernière visite
"Depuis son adolescence, Eliot Nasrallah redoute l’idée d’un dernier voyage au pays de ses origines. L’instabilité politique et économique du Liban effraye, pour les « au revoir » qu’elle présage occasionner. Son grand-père et sa famille les ont faits, ces signes de la main, la crainte au bout des doigts d’un pays que l’on cède à sa destruction. Il connaît le manque et la disparition au travers de leurs histoires, l’inaccessibilité d’un lieu, l’ineffable impuissance, ces douleurs dans la poitrine quand ils les racontent.
Entre 2015 et 2019, Eliot photographie ses moments passés à Beyrouth. Les images pour extraire le réel, sortes de cailloux glissés dans la boîte à souvenir pour ne rien oublier, pour les avoir toujours et au-delà. Des morceaux, des extraits, des mondes tout entier. 2020, Beyrouth explose sous ses yeux pour la première fois. L’idée d’un dernier voyage n’en est plus une. Les bruits sont passés sous silence, quand résonnent les quelques mots de N. Ceux d’une mémoire qui s’efface, d’un pays, que la maladie tait peu à peu.
Aux jours suivants l’explosion, Eliot répète alors ce geste photographique, la crainte au bout des doigts d’une statue que le temps emporterait. L’image pour s’approcher de lui, doucement, dans les instants qu’ils leur restent. Le Liban est hors de portée, mais N. est encore là. Les allées et venues d’Eliot à son domicile s’accélèrent alors, il le sait, le quotidien qu’ils leur restent est précieux. La dernière visite narre ce lien étroit entre le Liban et N. Entre ces deux monuments que les images permettent à jamais de regarder."